Origine, histoire, dictons du MOIS DE MARS
(D'après « La légende des mois », paru en 1881)
Le fondateur de Rome, Romulus, voulant
donner à son peuple un calendrier nouveau, divisa l'année en dix mois
de trente jours, et consacra le premier de ces mois au dieu Mars, dont
les Romains le prétendaient issu. Cette année de dix mois n'était ni
solaire, ni lunaire ; on la connaît dans l'histoire sous le nom d'
année martiale.
C'est Numa Pompilius qui vers 700 av. J.-C. changea cet ordre de
choses, en ajoutant au calendrier les mois de janvier et février, et en
fixant le commencement de l'année au 1er janvier. En France,
on commençait d'ailleurs l'année à Pâques, ou plutôt au samedi saint,
après la bénédiction du cierge pascal, et ce jusqu'à la promulgation de
l'édit de Charles IX en 1567.
Romulus
Mars incarne la force brutale. Tous les
peuples de l'Antiquité l'adoraient. Dieu de la guerre, fils de Jupiter
et de Junon, il avait, sous le nom d'Arès, des autels dans toute la
Grèce. On raconte que Mars, cité devant les dieux par Neptune dont il
avait tué le fils, fut acquitté par ses juges, réunis sur une colline
près d'Athènes. En souvenir de ce fait mémorable, les Grecs donnèrent à
leur tribunal, installé au lieu même où Mars fut jugé, le nom
d'Aréopage signifiant
colline de Mars.
Ce même nom de Mars fut donné plus tard à
l'un des jours de la semaine, le mardi ; à l'une des planètes que
connaissaient les Anciens, et enfin au métal, le fer, qui servait à
fabriquer les armes de guerre. Le mois de mars était symbolisé par un
homme vêtu d'une peau de louve, en souvenir de la nourrice de Romulus.
Le dieu Mars était représenté sous la figure d'un guerrier terrible. Le
coq, symbole de vigilance, lui était consacré. On sacrifiait sur ses
autels des loups et quelquefois des victimes humaines. Le poète Ausone
place auprès de lui un bouc pétulant, une hirondelle qui gazouille, un
vase plein de lait, qui, avec l'herbe verdoyante, annoncent le retour
du printemps. Dans les combats, il était accompagné de ses fils Phoibos
et Déimos (la Crainte et l'Effroi) qui attelaient et conduisaient son
char, ainsi que d'Eris (la Discorde), sa compagne et sa soeur, qui se
tenait à ses côtés.
Mars, dieu de la guerre, est parfois
confondu avec la déesse Bellone qui avait à Rome même un temple
célèbre. C'est dans ce temps qu'étaient reçus les généraux vainqueurs,
qu'on donnait audience aux ambassadeurs. A la porte du temple était une
colonne contre laquelle le héraut, c'est-à-dire l'officier public
chargé de déclarer la guerre, lançait une pique pour annoncer que la
guerre venait d'être décidée. Les prêtres de Bellone, les bellonaires,
célébraient les fêtes de la déesse en se perçant la poitrine avec leurs
épées et en lui offrant le sang qui sortait de leurs blessures. Ces
fêtes avaient lieu le 24 mars, et ce jour-là portait dans le calendrier
le nom de
jour de Sang.
Le dieu Mars
On raconte qu'à Rome, sous le règne de Numa
(en l'an 44 de la fondation de la ville), une pierre en forme bouclier
tomba du ciel. Les augures furent consultés. Rien de plus bizarre
assurément que ces prêtres nommés
Augures (du latin
ex avium garritu signifiant
du chant des oiseaux),
qui tiraient des prophéties du chant des oiseaux ou de la manière dont
se nourrissaient les poulets sacrés. Un bâton recourbé était le signe
de leur dignité. Ils formaient une classe spéciale parmi les prêtres
chargés des présages ; à côté d'eux se trouvaient les
aruspices (du latin
ara inspicio signifiant
j'observe les autels),
plus particulièrement chargés d'inspecter le mouvement des victimes,
d'examiner leurs entrailles... Les esprits sérieux se moquaient de ces
devins ; on disait que deux augures ne pouvaient se regarder sans rire,
et cependant ils jouissaient du plus grand crédit. Cicéron lui-même
appartenait au collège des augures.
Lorsque ce bouclier tomba du ciel, les
augures déclarèrent que le destin de la ville naissante était lié à la
conservation du bouclier céleste. Numa fit exécuter par un ouvrier
habile onze boucliers absolument semblables, afin de déjouer les
mauvais desseins de ceux qui tenteraient de s'en emparer. On donna à
ces boucliers le nom d'
Anciles, d'un mot grec signifiant
courbe, parce qu'ils étaient échancrés latéralement de façon à être plus larges vers leurs extrémités qu'à leur partie moyenne.
Ces anciles étaient déposés dans le temple de Mars, sous la garde de douze prêtres appelés
saliens (de
salire signifiant
sauter, ou
sallare signifiant
danser), parce que chaque année, le 1er mars,
ils parcouraient la ville portant au bras les boucliers sacrés et
exécutant, au son des instruments de musique, des danses et des chants
solennels. Pendant les trois jours que durait cette fête, on ne pouvait
ni se marier, ni entreprendre quelque chose d'important. On raconte que
Veterius Mamurius, l'ouvrier qui fabriqua les anciles, refusa tout
salaire, en demandant seulement que son nom fut mentionné dans les
hymnes que chantaient les prêtres de Mars. Nous savons aujourd'hui que
cette pierre était un météorite, un aérolithe, au même titre que la
pierre noire tombée en Grèce et qu'on adorait sous le nom de Cybèle.
Augure
Prêtre de Bellone
Le mois de mars renferme souvent deux fêtes religieuses. La première, l'Annonciation,
fut instituée en mémoire de la nouvelle que l'ange Gabriel vint donner
à Marie, qu'elle concevrait le fils de Dieu. Le peuple l'appelle
Notre-Dame de mars, à cause de l'époque où elle est solennisée. Son
institution, sans être précisément connue, est fort ancienne ; il
existe sur cette fête deux sermons de saint Augustin, qui mourut en
430. Ce jour de l'Annonciation était autrefois lié à une singulière
légende. Comme cette fête arrive presque toujours en plein carême, où
le jeûne est prescrit et que, selon les saints usages, on ne le peut
rompre qu'après les vêpres, on chante les vêpres, ce jour-là,
immédiatement à la suite de la messe. Mais si l'on interrogeait nos
ancêtres sur la raison de cette coutume, ils répondaient que tout
enfant qui naîtrait entre la messe et les vêpres, le jour de
l'Annonciation, appartiendrait droit au démon, ce qui a obligé l'Église
a supprimé l'intervalle...
La seconde, le dimanche des Rameaux,
commence la semaine sainte. Elle reçut son nom de l'usage établi dans
les premiers siècles, de porter ce jour-là en procession, et pendant
l'office, des palmes ou des rameaux d'arbres en mémoire de l'entrée
triomphante du Christ à Jérusalem, huit jours avant la Pâques. Les
peuples, disent les évangélistes, avertis de l'arrivée de Jésus,
allèrent au-devant de lui, étendirent leurs vêtements sous ses pas, et
couvrirent le chemin de branches de palmier. Ils l'accompagnèrent
jusqu'au temple en poussant des cris de joie. Par suite de cette
cérémonie, le dimanche des Rameaux est appelé dans plusieurs provinces
Pâques fleuries.
La bénédiction des rameaux, en usage aujourd'hui, l'était déjà dans les Gaules au VIIe siècle. On appelle encore ce dimanche
Capitilavium,
parce que c'était le jour où on lavait la tête des catéchumènes qui
venaient tous ensemble demander à l'évêque la grâce du baptême, qu'on
leur administrait le dimanche suivant.
Anciles et prêtres saliens
Un brasseur du faubourg Saint-Marceau, à
Paris, ne faisant que de la bière de mars (ainsi nommée parce qu'elle
se fabrique avec un froment qui se sème en ce mois), avait pris pour
enseigne le dieu Mars. En 1793, on lui objecta que Mars était un
ci-devant, et qu'un bon patriote ne devait rien conserver de l'Ancien
Régime. Il ne pouvait prendre le dieu Ventôse, qui occupait les 21
premiers jours du ci-devant Mars, et qui eût inspiré, sur les effets de
sa bière, un affreux calembour. Mais Germinal entrait en fonction le
22 ; c'était assez. Il fit repeindre son enseigne, où l'on put lire le
lendemain :
Au dieu Germinal, brasserie de Justin Carmus.